Plymouth, 17 juin 1846
A M. B. R.
Je ne sais pas trop comment vous auriez des nouvelles officielles, vu qu’on ne m’écrit pas en français de nos côtés ; mais je n’en suis pas moins sensible à votre bonté. Je vous en remercie bien. J’y suis d’autant plus sensible que je ne mérite point tant d’égards de la part de mes chers frères, mais, heureusement, l’affection ne se mérite pas. Elle croît dans le bon terrain de la grâce de notre Dieu. J’ai repris mes travaux sur la traduction (Version dite de Lausanne). Mais il ne manque pas d’affaires qui se sont accumulées pendant ma maladie ; peut-être Dieu a-t-il voulu que ce travail fut interrompu.
Et maintenant, en réponse à votre question sur l’évangélisation, je me réjouis à la pensée que vous vous occupez des âmes, cela nous fait toujours du bien à nous-mêmes. On ne saurait répondre d’une manière catégorique à une demande semblable, parce que j’agirais différemment dans ces cas différents. En général, on place l’Evangile dans sa simplicité devant l’âme, sans l’engager à prier, comme notre cher frère R. le veut, parce que les âmes placent toujours quelque chose entre elles et leur salut, et attachent à ce quelque chose de l’importance, comme à tout ce qu’elles font. On voudrait quelque chose dans l’âme, avant qu’elle soit aimée et lavée ; c’est le cas même de la plupart des chrétiens évangéliques, tandis qu’il faut leur présenter Christ sagesse, justification et rédemption. De sorte qu’en thèse générale je suis d’accord avec R. – Mais voici où l’autre principe entre, non pas seulement dans le cas d’un athée, mais en bien d’autres. Je présente Christ à une âme, la conséquence en est qu’elle est travaillée, pas encore affranchie. Ici donc, j’ajoute quelque chose que vous me semblez omettre dans ce que vous me dites soit de votre part, soit comme étant les vues de R.
Ce n’est pas seulement : “Crois et tu sera sauvé,” car le témoignage de Dieu convainc l’âme de péché. Ceci est un fait, et un fait qui doit absolument arriver, si l’âme est vraiment pénétrée de l’Evangile. Ce n’est pas la présentation de la foi comme moyen de salut qui fait cela, mais la révélation de Christ à la conscience, de Christ qui, comme la lumière, rend l’âme sensible à ce qui est au-dedans. La foi dans ce sens produit la conviction salutaire, mais pénible, et pas la paix. Souvent il y a un intervalle assez long (je ne dis pas : il doit y avoir ; car ce n’est pas le cas, lorsque l’Esprit agit en puissance) entre la conviction du péché et l’affranchissement. Il y a un autre effet de la foi à présenter ; non pas seulement la personne de Jésus qui a déjà produit la conviction de péché dont nous parlons, mais l’efficace de son œuvre. C’est ce qu’on doit toujours mettre en avant, mais ce qui répond toujours dans ce cas à un besoin produit. Mais ici se présente à l’âme cet effet de la foi, savoir la propitiation et l’amour qui l’a donnée. Je n’engage pas l’âme à prier pour la foi. Mais ce qui me paraît ne pas avoir sa place dans vos pensées, ni dans celles que vous me donnez de R., c’est la conviction du péché. On s’y arrête et les docteurs les engagent à prier, c’est mauvais. D’accord ici avec le cher frère R. Mais je cherche cette conviction dans mes entretiens avec une âme et, si elle n’y est pas, je cherche à la produire par la vérité. Cela fait crier : cette âme prie (non pas : “elle doit prier”). A ce cri, la plénitude de l’Evangile est la réponse. Les péchés dont elle se plaint ne lui sont pas imputés à cause du sang de Christ. Ce que je cherche chez un païen ou un chrétien de nom, c’est la conviction de péché. Je la cherche en annonçant la pure grâce gratuite et efficace de Dieu. Où cette conviction se trouve, je présente ce que la grâce a accompli. Il est très important de présenter tout cela comme une chose accomplie à laquelle on croit, sans qu’il soit question de prier, ni de quoi que ce soit d’autre. Mais si je trouve quelque obstacle, quelque chose qui empêche l’âme de faire du progrès, quoiqu’il y ait de la sincérité (et cela arrive quelquefois), des choses que l’Esprit de Dieu doit chasser du cœur avant de lui donner la paix – là je pourrais l’engager à prier. Dans l’état de mélange et de confusion où nous sommes, c’est ce qui arrive. Seulement il faut prendre soin de ne pas mettre des prières ou quoi que ce soit entre l’âme et Christ, car la foi n’est que la vue que l’on a de lui. “La foi,” dans les Ecritures, veut souvent dire aussi : la doctrine que la foi embrasse, ou le système de foi, en contraste avec la loi.
Je présente donc Christ tel qu’il est, comme objet de la foi, et là où le Saint-Esprit agit en puissance, la connaissance du Seigneur déplace et remplace tous les obstacles ; l’âme est affranchie.
On rencontre des cas où j’engagerais à prier, à cause de quelque chose qui fait obstacle. En général, on n’a guère besoin d’y engager une telle âme. Quant à l’élection, il ne s’agit pas de cela en prêchant l’Evangile. Je prêche Christ, Dieu agira dans ses conseils de grâce. Je ne prêche pas Christ mort pour les élus, quoique parmi les croyants, ils soit important de développer les rapports spéciaux de sa mort avec les élus. Sans cela leurs pensées sur son œuvre sont vagues, manquent de stabilité et se mêlent avec l’œuvre du Saint-Esprit dans leurs âmes. J’annonce Christ victime propitiatoire pour le péché, lui Fils glorieux du Père et un avec lui, ses souffrances et sa gloire, et cela à cause du péché. Je leur montre peut-être les ténèbres de l’âme, en leur montrant ce qu’il est, lui, la lumière et la grâce. – Et je leur annonce que quiconque croit en lui est sauvé, pardonné, et jouit de la vie éternelle.
J’explique, au besoin, l’efficace pour ceux qui croient, parce que dans les pays chrétiens de nom, c’est ce dont on a besoin, et l’efficace annoncée leur démontre qu’ils n’y croient pas. Aux enfants de Dieu, l’élection est utile pour les rendre humbles, car tout est grâce ; pour les rassurer, car la grâce est efficace et coule d’une source qui ne tarit pas, d’un conseil qui ne chancelle pas. Ici, l’œuvre et les joies du Saint-Esprit peuvent être précieusement développées.
Me voilà, cher frère, à la fin de ma lettre pour cette fois. Plus il y a de simplicité, plus il y aura de bénédiction. C’est Christ qu’il faut prêcher, Christ Sauveur d’âmes, et d’âmes pécheresses dans leurs besoins et dans leurs misères, fruit de l’amour gratuit de Dieu.
Dieu soit béni, j’ai de bonnes nouvelles en général de l’œuvre en Suisse et en France.
La différence de la prédication maintenant, c’est que l’histoire en général est connue ; on a à en annoncer l’efficace, la gloire, mais, au commencement, cette histoire en présentait la gloire aux âmes par la puissance du Saint-Esprit. Maintenant, il faut y attirer l’attention. L’effet en sera toujours le même, là où le Saint-Esprit agit.
A Dieu, bien-aimé frère. Que Dieu vous dirige et vous fortifie. Saluez les anciens, R., G., et tous nos précieux frères. Ce n’est que par une lettre de G., qui supposait que je le savais déjà, que j’ai su que notre bien-aimé Tapernoux a délogé en paix. Il est heureux. Je soupire ardemment après le moment ; oui, ardemment. Toutefois on accomplit sa journée comme un mercenaire. Assurez sa veuve et sa famille de toutes mes sympathies. Oui, il est heureux ! Oh ! que ce jour arrive où nous serons tous réunis dans la présence et la gloire de Jésus, sans péché.
Votre affectionné.