Turin, novembre 1871
A M. P.
Cher frère,
Si je révélais toutes les choses que je sais, j’aurais beaucoup à dire ; et savez-vous que le meilleur moyen de ne pas trahir un secret, est de ne pas laisser voir qu’on en connaît un ? Pour agir ainsi, le monde trompe et parle d’une manière détournée, – non pas le chrétien, parce que s’il est content de ne dire que ce que Dieu veut qu’il dise, il n’a qu’à se taire, et s’il est habitué à agir ainsi, la chose devient toute simple…
Cette chère C. est délogée. Elle a quitté ce monde il y a très peu de temps. Son mari était absent ; il l’a trouvée morte à son retour. Elle est morte en paix ; elle a dit : “Je sais que je vais mourir, mais je suis tranquille : je n’en dis pas davantage.” Voilà la fin d’une minime partie, mais pour quelques-uns d’une grande partie de ce pauvre monde.
Dieu s’est révélé à son âme, puis Dieu l’a prise ; maintenant elle est dans le ciel. Que d’histoires se racontent ainsi en peu de mots, qui, sur une petite scène, ont rempli d’anxiété bien des cœurs ! Si l’on traverse ce monde avec Dieu, on se confie en lui, et tout en souffrant pour les choses réelles plus que d’autres n’en souffrent, on le traverse sans inquiétude, parce que Dieu est là ; on ne s’inquiète même de rien ; une âme de plus dans le ciel amenée par le fidèle Berger, voilà le vrai fait. Quelques âmes affligées, cela est naturel dans ce monde, comme lorsqu’une pierre tombe dans l’eau : un peu de bruit, quelques cercles qui s’élargissent, puis s’effacent, et l’eau continue, comme par le passé, à couler avec le bruit qui lui est propre. Nul signe de la pierre ne reste, mais il y a une âme recueillie auprès du Seigneur et qui ne sortira plus de sa présence ! Quelle immense joie, quelle profonde bénédiction ! Que le nom du Seigneur en soit béni. On me dit que son frère est bien affligé, cela se comprend ; son pauvre mari aussi a bien droit à nos sympathies.
Je vous dirai, cher frère, que nous allons avoir, Dieu aidant, une étude de la Parole à Nîmes, pour dix ou douze jeunes frères qui se consacrent plus ou moins absolument à l’œuvre, principalement de l’Ardèche, mais d’ailleurs aussi.
Je suis au nord de l’Italie. Je sais assez la langue pour expliquer la parole de Dieu, mais je ne prétends pas prêcher. Dans quelques semaines, je pars, Dieu voulant, pour la France. Dieu a passablement ranimé les frères en Suisse, et je crois qu’il le fait en France aussi.
Il se peut que je me rende en Amérique l’été prochain. Dieu le sait.
Je ne puis plus faire de courses à pied, autrement je travaille comme de coutume, et je suis mieux hors de Londres que dans cette grande ville, mais dans sa 72ème année, on ne peut penser à faire ce qu’on faisait plus jeune.