A M. B. R.
Bien cher frère,
Je m’empresse de répondre à votre bonne lettre, d’autant plus que j’y vois un peu de découragement spirituel. Quant à la traduction, (Notes pour la Version dite de Lausanne) je l’avais poursuivie en toute simplicité, pour ajouter ce que je pouvais au bien commun, si les spécialités des épîtres n’avaient pas exigé des données plus positives à l’égard de la coopération. La réponse ne dit rien sur ce que j’ai demandé à cet égard. Je ferai, autant que je le pourrai, la volonté du Seigneur, là dessus. Ce qui avait donné lieu à ma question, c’était qu’il y a des difficultés particulières résultant de ce que le génie de la langue française ne répond pas à bien des abstractions grecques. Si l’on avait refusé d’aborder cette difficulté, en reconnaissant la portée de cette circonstance, j’aurais été un peu découragé dans cette tentative ; le travail aurait été inutile, parce que, pour l’idiome de la langue française, il est évident que je dois dépendre en quelque mesure d’autrui. Enfin je laisse la chose là, sans rien ajouter.
Quant aux dangers dont vous parlez, ils sont possibles, mais Celui qui a gardé son peuple avant les vendanges, le gardera après. Il ne change pas. L’ennemi peut rugir et grincer des dents, mais les cheveux de la tête de chacun des disciples sont comptés. Je crains tout autant le repos que la persécution pour les chers et précieux enfants de Dieu, quoique je bénisse Dieu lorsqu’il nous accorde ce repos. Seulement que nous sachions marcher dans la crainte de Dieu, et ce sera dans la consolation de son Esprit. Il est tout naturel que la relâche, après la tension de la persécution, amène un peu de relâchement spirituel et que l’ennemi cherche à en profiter, mais, en cherchant sa face, sa grâce nous suffira ; sa force s’accomplira dans notre faiblesse. C’est à chacun à se tenir près du Seigneur, non pas pour lui-même seulement, mais y étant par la grâce pour les autres. Un homme de foi déconcerte souvent (par la grâce) l’ennemi d’une manière étonnante. C’est ce que Dieu veut. Il intervient et il est reconnu. Tout caché qu’il soit, l’instrument ne perdra pas sa récompense. C’est l’œuvre cachée qui est la plus belle, la plus près de Dieu et de son cœur, la plus entièrement à lui, et il la reconnaîtra telle au jour où il manifestera ce qu’il aura donné et approuvé.
Pour les assemblées, cher frère, outre ce que je viens de dire, il faut se fier au Seigneur et chercher beaucoup à cultiver un véritable esprit d’amour, des affections fraternelles découlant de la charité qui ne tient compte de rien, pour que Dieu soit glorifié dans les siens. Quant à vos difficultés que vous ressentez a sujet de vos prières, c’est une chose sérieuse et pénible, j’en conviens, mais la grâce de Dieu ne vous fait pas défaut. Je ne doute pas, bien-aimé frère, que la chair n’en soit la cause, la négligence, la fausse confiance, le manque de petitesse et de pauvreté en esprit. Hélas ! je n’en sais que trop. Toutefois, il y a quelque chose à dire ici. Le Seigneur nous fait sentir notre dépendance dans la chose qui nous est la plus facile, dans laquelle nous éprouvons une certaine satisfaction, dans laquelle la chair ne manque pas de trouver son compte. Je ne dis pas que cette incapacité nous arrive sans qu’il y ait quelque faute, quelque négligence spirituelle, car la chair qui y prend plaisir ne peut être active dans la présence de Dieu, ni la chercher. Ainsi, nous nous relâchons intérieurement ; il n’y a pas la même intensité, le même besoin ; la présence de Dieu n’est plus comme auparavant, la source de joie pour nous ; elle ne nous fait pas besoin de la même manière. Notre amour envers l’Eglise est l’amour de Dieu envers l’Eglise, et elle n’en est l’objet qu’en tant que vue de Dieu selon l’amour dont il est la source. Elle ne porte plus le même caractère à nos yeux ; le motif de la prière manque dans la mesure où le lien avec la source est affaibli. – Mais en même temps, cher frère, tout ceci nous fait faire la découverte de la chair en nous, et nous comprenons par-là même plus profondément que tout est grâce. Dans l’état dont je parle, n’ayant pas la conscience de l’amour de Jésus pour l’Eglise, nous voyons plus facilement ses misères, et ces misères d’une manière plus pénible, moins comme des objets de sa sollicitude à lui, plus comme des choses pénibles pour nous, et, n’ayant pas la confiance qu’inspire son amour, nous en sommes découragés.
Vous avez parlé d’un sujet assez important, la responsabilité et sa liaison avec la grâce. Je crois qu’on peut très bien insister sur le dévouement, dans un esprit de grâce. Je désire que vous abondiez dans cette grâce aussi, comme fruit d’amour en nous. C’est ainsi qu’on encourage à ces choses. On ne produit pas le dévouement, car il est un fruit de la grâce, en blâmant l’affaiblissement dans le dévouement. Le dévouement qui découle [de ce blâme] n’est qu’une imitation, au fond mauvaise. En lisant les épîtres, vous trouverez facilement cette distinction. Au reste, si Dieu me le donne, je vous dirai un mot sur la liaison entre la responsabilité et la grâce, ou plutôt entre la grâce et la responsabilité. La place me manque pour le faire ici.
Quoiqu’il en soit, bien-aimé frère, rapprochez-vous du Seigneur, notre infiniment précieux et fidèle chef. La grâce qui est en lui convient à toutes nos circonstances, à tous nos états d’âme. Elle en est le remède et plus que cela, car nos misères ne sont que l’occasion de la connaissance de sa plénitude et de sa perfection. “J’ai vu l’affliction de mon peuple ;” il y avait bien d’autres choses à voir. – Au reste, le Seigneur est fidèle. La foi agit individuellement, bien qu’elle produise des effets communs, et même qu’il y ait une foi commune à laquelle Dieu répond. C’est à lui que je vous remets, bien-aimé frère.
Je crois que “fin du Seigneur,” en Jacques 5 v.11, signifie la fin en contraste avec le chemin. Pour nous, le chemin est la patience, mais la fin qui est dans les mains du Seigneur, est toujours miséricorde, comme on le voit en Job.
Votre affectionné frère.