Montpellier, 20 décembre 1848
Je fais quelques remarques à mesure qu’elle se présentent. Il y a d’autres interprétations qui, tout en n’étant pas les vôtres, ne rencontrent pas les difficultés que vous supposez.
En premier lieu, je ne doute pas que l’Assyrien, ou du moins une puissance qui n’est pas l’Antichrist, ne soit le désolateur. (Dan.9 v.27) Je pense que c’est le “roi du Nord” mais cela n’implique pas votre explication de ce verset, lors même que ce serait l’Antichrist qui confirme l’alliance. Mais il y a tout simplement : “A cause de la protection des abominations, un désolateur,” c’est-à-dire “il y aura un désolateur.” L’Antichrist les ayant entraînés dans l’idolâtrie, le désolateur sera lâché contre eux. (Comp. Es. 28 v.14-18)
En second lieu, je ne prétends rien affirmer sur la grammaire hébraïque, mais régulièrement 11 v.31, serait : “les armes ou les forces se tiendront debout, surgiront de lui, et elles profaneront… et elles ôteront, etc.” Je ne sache pas qu’il y ait un exemple où le verbe s’accorde régulièrement avec le masculin pluriel déjà exprimé, auquel on a substitué “on”.
Puis vous avez confondu l’idée de celui qui rétablit le sacrifice avec celui qui en est l’objet, ou plutôt auquel il est présenté, à la fonction duquel il se rattache.
Vous demandez qui ôte le sacrifice continuel. (Dan.8 v.11). Il faut regarder au Keri (Annotations données en marge du texte hébreu) qui donne : “lui fut ôté.” Le passage ne dit rien de plus. Il faut encore se souvenir qu’en Daniel, Israël est toujours considéré comme le peuple de Dieu, remarque fort importante pour l’intelligence du livre et qui va à la racine de quelques-uns de vos raisonnements. Dieu parle en grâce et Jérusalem est traitée comme la sainte cité de Daniel. Or il me semble qu’on ne peut guère ne pas voir le Prince des princes dans le Prince de l’armée. Souvenez-vous aussi que c’est entre les mains de la petite corne du chap.7, que les saisons et les ordonnances juives sont livrées. (7 v. 25). C’est celui-là qui les change et qui blasphème et s’élève. Quant à “jeter la vérité par terre” (8 v. 12) je pense bien que c’est la corne du chap.8, savoir non l’Antichrist, mais l’Assyrien ou le roi du Nord. Comme Chef de l’armée, Christ n’est pas vu comme accomplissant Héb.9-10, mais comme Chef des Juifs au dernier jour. Dans ce caractère, c’est à lui qu’appartiennent les sacrifices, comme, en tant que privilège, ils appartiennent aux Juifs. Beaucoup de Psaumes parlent de ces sacrifices de justice ; ce ne sont pas même des sacrifices pour le péché ; le “Thamid” était un holocauste ; sans cela les Juifs n’avaient pas d’autel, pas de rapport public avec Dieu. La remarque que j’ai faite quant à la manière d’envisager les Juifs en Daniel, met de côté votre interprétation de 8 v.10 ; quant à 8 v.11, j’en ai déjà parlé. Vous dites que le “prince qui viendra” (9 v.26) est le même que le désolateur (v.27) Pourquoi ? “Sur le faîte de l’abomination” (8 v.27) ne me présente aucune idée. L’abomination est une idole, une chose profane et souillée aux yeux de Dieu. Que signifierait le faîte d’une idole ?
Votre continuateur de Titus, un désolateur qui suit le prince qui viendra (9 v.26-27), n’est rien ; pour moi je ne crois pas qu’il y en ait un. L’Antichrist sera son continuateur dans un sens, comme étant chair, ou au moins corne principale de la Bête, tandis qu’effectivement c’est un autre, selon moi aussi bien que selon vous, qui agira comme Titus en attaquant la ville, quoique pas en la détruisant au même point. Titus “détruit” la ville (10 v.26), le roi du Nord ou l’Assyrien “la renverse” (8 v.11).
L’Antichrist n’est donc pas le désolateur. Là-dessus nous sommes d’accord. De l’autre côté, vous n’avez pas assez considéré qu’Israël est appelé (chap.8 v.24) le peuple des saints, et si Dieu ne peut pas l’appeler son peuple, il répond au cœur de Daniel, en reconnaissant sa foi prophétique, et l’appelle “ton peuple” (ainsi qu’il fit à Moïse). C’est-à-dire qu’il en prend connaissance par l’intervention d’un médiateur. Or les v.11-12, sont au point de vue de Daniel (parlant, il va sans dire, par l’Esprit prophétique).
Quant à votre “Résumé”, je l’accepte, moins les difficultés qui n’existent pas pour moi. Il me semble que ce n’est ni Jésus, ni l’Antichrist, qui rétabliront les sacrifices dans ce temps-là. Je pense que les Juifs eux-mêmes l’auront fait. Il est très possible que le roi du Nord ôte à l’Antichrist son faux culte (mais il prend Jérusalem). Mais pouvez-vous penser que “Thamid” soit appliqué à une chose pareille, ou que l’Esprit prophétique appelle ce qui entoure l’Antichrist, l’armée des lieux saints ?
Bien cher frère, je vous envoie ces quelques pensées sur votre manuscrit. Vous verrez que je suis d’accord avec l’idée principale, savoir qu’il y a l’Antichrist à Jérusalem et un ennemi qui vient du dehors, mais vous avez tiré de cet état de choses plusieurs conséquences qui ne me paraissent pas justifiées. Ce genre de conclusion vous fera trouver plutôt des difficultés que des lumières. Mon idiosyncrasie m’épargne au moins bien des mécomptes dans mes conclusions. Je vois, en général, toutes les difficultés et j’attends la solution de toutes. J’ai été frappé de la manière dont Dieu donne des conclusions positives, justes pour la conscience, lorsque toutes les prémisses sont fautives, là du moins où il y a de la droiture. On me fait visite et il faut que je termine. Je vous ai donné ci-dessus le fond de ce qui s’est présenté à ma pensée dans un moment de loisir. Je me réjouis d’avoir des nouvelles de votre voyage et de savoir si les choses sont allées selon vos désirs. Quant à l’assemblée de V., allez doucement, cher frère, et pensez à tous. La discipline a été mal faite, mais elle devait se faire. Oublions les personnes, si nous pouvons. J’ai trouvé notre cher frère C., peut-être le plus raide de tous, et bien que je l’aime et que je le connaisse depuis des années comme un frère sincère, je ne crois pas que son cœur soit complètement vidé devant le Seigneur. Il ne le sait pas ; nous ne le savons jamais, en cas pareil, parce que nous ne sommes pas pleinement devant lui. Les choses se présentent d’une tout autre manière, lorsque sa présence se manifeste pleinement et de manière à cacher les hommes. Toutefois je ne doute nullement de la sincérité de C., en sorte que je suis au large avec lui, mais je crois qu’il y a encore une œuvre à faire en lui pour le bien de son âme. Je regarde à Dieu, pour qu’il fasse cette œuvre et qu’il rétablisse en plein les rapports d’amour et de confiance qui seuls laissent briller sa présence dans tout son éclat au milieu des frères. Il serait dommage que des frères qui ont vraiment été en témoignage manquassent à leur première charité et à ce témoignage même, mais Dieu est fidèle.
Votre affectionné frère en notre bon Maître.