Genève, 8 septembre 1844
A B. R.
Bien cher frère,
Je suis heureux que la fin de mon travail sur Matthieu soit plus populaire que le commencement, et j’en bénis Dieu. Il sera évidemment plus utile ainsi. Je crois que, dans l’état actuel de l’Eglise, il faut agir selon le raisonnement de Héb.5-6. Toutefois c’est une bénédiction que cela s’adapte aux simples.
Quant à Matth.25 v.31-46, je ne comprends pas comment vous l’appliquez aux Juifs, et cela par la raison toute simple qu’il parle des gentils. Peut-être me direz-vous qu’il parle des gentils. Peut-être me direz-vous que …… (mot en grec) “Et il les séparera”. ne s’accorde pas avec ….. (mot en grec) “Toutes les nations” ; mais je dis oui, quant au sens, et il n’y a rien d’autre avec quoi l’accorder. Voici donc la phrase : “Lorsque le fils de l’homme viendra dans sa gloire et tous les saints anges avec lui, alors il s’assiéra sur le trône de sa gloire et tous les gentils seront rassemblés devant lui, et il les séparera comme un berger sépare les brebis des boucs.” Ce n’est pas ici une allusion à un témoignage prophétique, mais à un acte du métier de berger. Là-dessus il emploie l’expression : « Il mettra les brebis à sa droite et les boucs à sa gauche » ; mais il l’abandonne aussitôt en disant : “Alors le roi dira à ceux qui sont à sa droite…” Les brebis ne sont plus nommées ; il parle des personnes sans se servir d’image. Enfin, je ne vois pas ici d’autre sujets que les gentils (soit nations) ; ils seront rassemblés et il les séparera ; il n’y pas d’autre antécédent. Vous avez raison quand vous dites que, selon ma division, les “frères” du v.40, ne sont pas “les bénis de mon Père” du v.34. Je ne doute pas que si une brebis avait fait du bien à une autre brebis, cela n’eût été reconnu de Jésus, mais de fait les brebis ou ceux qui sont à sa droite, sont les justes et les bénis du Père. Voici la division :
Roi
Brebis Boucs
Les “frères,” dont il parle, ne trouvent pas leur place dans la parabole. Le Seigneur laisse à l’intelligence spirituelle de ses serviteurs de discerner qui ils sont. Quant à moi, je ne doute pas que ce soient des Juifs, messagers du royaume, d’après l’ensemble de l’enseignement du Seigneur dans ces passages, mais je suis tout disposé à recevoir de nouvelles lumières. Vous auriez tort d’insister sur Ezéch.34 v.17, 22, parce que le mot hébreu traduit brebis ; il indique autant la race des chèvres que celle des moutons. (Voyez par exemple, Deut.14 v.4). Je ne comprends pas non plus pourquoi vous dites que, dans les v.4,6,8 “les boucs les ont fait égarer” ; ce sont les mauvais bergers. Je crois aussi que vous trouverez que dans ce passage, v.22, les béliers et les boucs ne sont pas mis en contraste les uns avec les autres, mais les bêtes faibles en contraste avec celles qui les ont foulées, appelées béliers et boucs. Dieu fera la différence entre brebis et brebis, entre béliers et boucs. (v.17.)
L’énergie qui va en avant pour chercher la vérité est très précieuse. Qu’elle soit tempérée par la prudence qui pense au résultat, c’est une grâce qui vous est faite ; la charité pense aux âmes et pas seulement aux idées, quoiqu’il reste vrai que les idées de Dieu sont les seuls moyens de bénédiction pour les âmes ; mais il faut “la nourriture au temps convenable…”
Quant à la sympathie de Christ, c’est un sujet très important. Il est évident pour moi, que lorsque Paul parle d’accomplir ce qui manque des souffrances de Christ, il parle des souffrances qui restent à accomplir, après celles que le Christ a accomplies sur la terre. Paul se charge, à son tour, de la souffrance. S’il parlait d’un Christ qui souffrait encore, je ne vois pas qu’il pût dire : les souffrances de Christ qui manquent. Ces paroles me semblent être en contraste avec ce que Christ avait déjà souffert ; Paul prenait sa place pour continuer. Ne pensez pas que je nie par-là les souffrances de Christ comme Tête du corps, car j’y crois, et c’est pour moi la plus douce pensée possible. Je crois seulement qu’il est important que l’idée soit assez mûre pour devenir un sujet d’édification et non de controverse. Elle est pour moi trop précieuse et trop près des affections pour cela. Il y a des sujets qu’il faut toucher délicatement. Je ne nie donc pas les souffrances de Christ en sympathie ; j’y crois pleinement ; seulement je doute qu’on puisse appliquer Col.1 v.24, à ce que Christ souffrait dans le ciel. (Sympathiser n’est pas, comme vous sembler le croire, souffrir de la même manière que vous. Je pourrais être appelé, comme vous le dites, à vous couper le bras ; certainement, je pleurerais plus que vous, mais mon bras n’est pas coupé. Je sympathiserai, mais je ne souffrirai pas en moi-même la chose faite ; je souffrirai de voir souffrir un autre. Je ne dis pas du tout que l’on souffre moins, mais on souffre autrement.)
Quant à votre article, il m’a beaucoup intéressé, et je crois qu’il peut être béni pour les âmes. La rédaction aurait besoin d’être revue ; il y a des passages qui ne se lient pas. J’aimerais beaucoup qu’on le publiât, mais il me semble que vous ferez bien de peser et de mûrir l’expression de vos pensées. Il s’agit pour nous de manœuvrer en présence de l’Ennemi et de ne pas prêter le flanc à ses attaques.
Je répète que je ne crois pas que ce passage : “Ce qui reste encore à souffrir des afflictions du Christ,” puisse se dire d’un Christ souffrant avec Paul, quoique d’autres passages prouvent (et je le crois) ses souffrances en sympathie avec lui. Je n’émets ici que des principes ; pour les détails, il me faudrait relire votre article.
Votre affectionné frère.